Amour

Utopique Girl

 

Je ne vais pas m'attarder sur sa description physique, je n'ai presque aucun critère de sélection irrévocable. J'ai seulement de légères préférences comme un faible pour les brunes. Mon Utopique Girl, elle ne serait pas trop petite ni plus grande que moi, pas grosse ni plus maigre que moi, avec un joli petit cul bien rebondi et des seins bien fermes. Son corps serait tout doux et elle aurait une délicieuse peau sucrée comme un pain au chocolat . Ses longues gambettes lui donneraient une démarche gracieuse et elle aurait de grands yeux très clairs, verts ou bleus, de grands yeux déroutants, coquins et malicieux, qui pétilleraient de joie quand elle serait heureuse et qui brilleraient sous l'effet de quelques verres de champagne. Elle aurait un large sourire et une voix très douce. Elle aurait un rire sincère, bruyant et communicatif, un de ces rires qui font tourner la tête, mais pas un rire saoulant.

De part cette beauté innocente, mais aussi de part de futiles détails de comportements, ce serait une fille inaccessible au commun des mortels. Pour moi, une fille inaccessible n'est pas une de ces connasses qui se prennent pour le centre de la terre parce qu'elles sont blondes et qu'elles ont de gros nibards, et qui non seulement ne se prennent pas pour des sous-merdes mais te considèrent comme tel. Celles-ci, je les laisse se regarder leur gros cul dans leur coin : je préfère l'éternelle beauté naturelle de mon Utopique Girl.

Une beauté perturbante, troublante, qui laisserait sans voix, qui ferait augmenter le rythme cardiaque rien qu'en la regardant, qui me ferait perdre tous mes moyens. Une fille que l'on n'oserait aborder de peur de passer pour le dernier des abrutis.

Ces sentiments de ma part sont extrêmes. Ils ne peuvent malheureusement que s'estomper avec le temps, c'est l'inexorable condition pour éviter une immuable contemplation passive dont je suis trop souvent prisonnier. Pour remédier à cette échéance, elle aurait un petit quelque chose de secret et mystérieux. Un indicible truc qui donnerait le sentiment qu'elle serait un trésor, un bijou, un être unique et précieux, qui ne peut être que protégé et adoré.

Mon Utopique Girl aspirerait à un idéal de vie mais le remettrait sans cesse en question. Pour évoluer, elle ressentirait le besoin de se confier, et c'est entre autres vers moi qu'elle se tournerait. Elle m'expliquerait son problème existentiel et je tenterais de l'éclairer, de la guider, de la rassurer. Elle serait confortée mais pas pour longtemps puisque bientôt, une autre question fondamentale viendrait la perturber. Ma vision de la vie lui redonnerait confiance, je serais un peu son guide, je dis un peu, car même si elle tenait compte de mes remarques, elle se forgerait sa propre opinion. Pour mieux expliquer cette facette de mon Utopique Girl, voici le genre de question qu'elle serait amenée à se poser : « Pourquoi les hommes font-ils la guerre ? », « A quoi sert Dieu ? », « Quel est mon rôle sur terre ? » Bref, des trucs un peu plus élevés que de savoir si Tom Cruise est encore avec Nicole, où si le chat de la voisine est toujours en vie.

Mon Utopique Girl, elle serait passionnément amoureuse de moi. Pourquoi moi et pas quelqu'un d'autre ? Pour répondre à cette question, il faudrait que je me piedestalise et ce n'est pas mon but. En revanche, je peux dépeindre quelques traits de ma personnalité. Ils sont issus d'intenses réflexions de ma part, suite à la consultation de différents ouvrages astrologiques et de mes défauts (ou des qualités), que l'on m'a dit que j'ai. Je fonctionne, paraît-il, à l'intuition. Je me fie à mon septième sens plutôt qu'à ma raison. Ma façon d'agir obéit à des mécanismes mystérieux dont la logique semble exclue. Je dis plus « je sens » que « je pense ». Je donne souvent l'impression d'être inactif ou d'avoir une certaine passivité. J'ai l'air de ne rien faire et pourtant, pendant ce temps, mon imagination m'entraîne très loin... et cela aboutit parfois à des visions géniales. Dès lors, je suis persuadé d'avoir raison, et j'agis en conséquence. Je suis branché sur des longueurs d'ondes qui échappent au commun des mortels. On me trouve mystérieux, fuyant, inquiétant ou simplement déroutant. On me dit souvent que je suis fou. Mon Utopique Girl le dirait aussi puisqu'il n'y a pas d'autres mots, mais pour elle, ce serait un aspect positif, et elle ne me le reprocherait pas. Elle serait donc très amoureuse de ce moi tout bizarre qui fait de moi MOI.

Amoureuse et éprise, oui MAIS sans que ça devienne une contrainte et qu'elle perde certaines libertés. Je m'explique : je ne souhaite pas une femme soumise mais épanouie dans sa vie active et dans ses loisirs. Et vu qu'elle serait active, c'est qu'elle travaillerait.

Ce serait un boulot enrichissant, pas une esclave dans une usine. Un job dans le tourisme par exemple, pour qu'elle voyage, guide ou hôtesse de l'air : c'est parfait hôtesse de l'air ! Ou alors elle serait artiste, peintre ou encore mieux : une musicienne, mais pas une joueuse de violoncelle ou de clarinette non non, une bassiste, c'est super bien une bassiste. Autre métier sympa, un top modèle, c'est chouette un top modèle. Bref, une activité remuante, enrichissante et qui donne envie de ne plus rien faire quand tu rentres de temps en temps chez toi.

Car évidemment, avec de tels métiers, elle ne passerait pas beaucoup de temps chez elle, chez moi, chez nous, enfin, à l'endroit où nous nous verrions quand nous y serions, par hasard, tous les deux en même temps. Car de mon côté, c'est pareil, le journalisme fait que je suis régulièrement quelque part ailleurs. Nous nous verrions donc régulièrement occasionnellement à l'improviste : tout un programme. Mes relations avec mon Utopique Girl seraient assez ambiguës. Nous vivrions chacun notre vie professionnelle à fond, sans se préoccuper de l'emploi du temps de l'autre. Une vie libre qui ferait que nous nous verrions régulièrement mais toujours à l'improviste. Parfois, nous nous donnerions rendez-vous pour mieux nous retrouver. Quand nous discuterions, elle ne me raconterait pas sa vie du début à la fin, mais elle resterait mystérieuse, et malgré ses connaissances sur le monde qui l'entoure, elle serait un peu naïve, abordant des sujets aussi divers que variés, et elle serait curieuse de tout. Elle s'émerveillerait devant la beauté et s'indignerait contre la connerie.

Et quand nous serions ensemble, nous ne nous prendrions pas la tête à faire du ménage, du repassage, de la vaisselle ou même de la cuisine. Comme moi, elle ne serait pas boniche. Pour la bouffe, elle aimerait quand même bien préparer quelques bons plats et à chaque occasion, elle ne s'en priverait pas. Mais si l'envie ou si le temps venait à manquer, elle accepterait volontiers de sortir manger ailleurs et ne serait pas à cheval sur les horaires. Pour les corvées ménagères, une personne adéquate serait la bienvenue, ainsi, mon Utopique Girl pourrait se consacrer à ses loisirs préférés.

Mon Utopique Girl, elle aurait un peu la mentalité 106, c'est-à-dire amoureuse et indépendante avec sa voiture qu'elle ne me prêterait jamais. Avec sa 106, elle irait faire du sport par exemple. Un peu de sport de temps en temps, et le top du top, c'est qu'elle ne m'obligerait pas à en faire. Elle en ferait toute seule (ou avec ses copines), et ce serait plutôt un sport individuel comme la course à pied ou du vélo, des trucs où il n'y a rien à raconter, parce que les histoires de matchs ça m'énerve. Elle aimerait aussi peindre, décorer sa maison, faire les boutiques (mais pas trop longtemps quand je suis avec elle), aller au cinéma, visiter des musées, voyager, aller en camping au bord de la mer, sortir au café...

Quand j'aborde le délicat sujet du bistro, il faut s'attarder sur plusieurs points sensibles qui avec elle, ne seraient plus sensibles puisqu'ils deviendraient naturels. Mon Utopique Girl, qu'elle fume ou non, peu m'importe. L'essentiel, c'est qu'elle ne m'en empêcherait pas. Pour la picole et pour le shit, c'est pareil. Mais ce qui serait formidable, ce serait qu'elle picole un peu pour que je puisse voir briller l'alcool au fond de ses yeux. Pour le shit, c'est pareil, histoire que je ne sois pas tout seul dans mes délires.

Mon Utopique Girl, elle aimerait bien la littérature (surtout la mienne), la poésie et la musique aussi. Elle parlerait super bien anglais (normale pour une Anglaise !) et ne ferait pas de fautes d'orthographe en français. Elle aimerait partir à la découverte des pays, des cultures, des gens. Elle se sentirait attirée par la culture celtique, par la musique bretonne, aimerait aller danser au Fest Noz, détesterait les discothèques et adorerait les pubs irlandais.

Mon Utopique Girl, elle aimerait écouter de la musique, mais pas n'importe quoi. Elle détesterait la daube. Pas de techno, pas de trans, pas de disco, pas de dance, surtout, pas de dance. Pas trop de rap, pas trop de funk, pas trop de tchacapoumpoum quoi ! En revanche, elle aimerait tout ce que j'aime bien, tous ces VRAIS artistes qui jouent en direct à la télé et pas en play back. Elle aimerait aussi le ragamuffin et le reggae. Elle aimerait les paroliers pas connus et les grands maîtres de la musique française et étrangère. Elle se plairait à passer des heures à la FNAC à fouiller dans les bacs à CD et aller aux concerts de temps à autre.

A la radio, elle écouterait des stations intelligentes et bannirait Fun Radio, Skyrock et NRJ. Le matin, en prenant son p'tit dej', elle écouterait les infos à donf' et le soir a la télé, elle ne regarderait pas les conneries de TF1 et les séries débiles de M6. Elle préférerait les documentaires de la Cinquième, Nulle par Ailleurs sur Canal +, et les magazines de France 3. De toute manière, elle ne passerait pas son temps devant le petit écran, la vie est plus belle quand elle est vécue autrement.

Elle serait romantique et fleur bleue mais sans tabous. Elle n'hésiterait pas à revêtir une superbe robe de soirée pour aller au resto et le matin, elle serait quand même belle avec ses cheveux en bataille. Dans son placard, il y aurait une pile de gros pulls pour l'hiver, des pulls de toutes les couleurs, de toutes les chaleurs, de toutes les douceurs, de toutes les rondeurs. La laine ferait des boules qui iraient s'accrocher sur son cœur et elles me laisseraient assez songeur. Elle aurait aussi des petites robes, et une jolie jupe rouge qui volerait au vent quand elle irait courir au soleil. Elle aurait aussi des shorts pour l'été, des tas de jolies fringues sexy, classiques, luxueuses, sportives, qu'elle choisirait sans se poser de questions pendant une heure pour savoir si c'est ce qu'il lui plaît ou non.

Avec tout ça, mon Utopique Girl accepterait tous les compliments venant de moi, sans me dire d'arrêter et sans me dire que je suis fou ou je ne sais quoi d'autre. Plus j'en dirais et plus elle serait folle de moi et me le prouverait à travers d'infimes détails qui suffisent à tout dire...

Son charme, c'est aussi sa timidité. Elle serait légèrement timide mais très entreprenante. Entreprenante mais pas fonceuse. Réfléchie et posée, elle serait calme et pas nerveuse. Et puis mon Utopique Girl, elle ne me ferait pas profiter de sa mauvaise humeur quand elle serait dans sa semaine.

Mon Utopique Girl, elle serait un peu militante, écolo-socialo-communiste, un peu anarcho-mondialo-régionaliste, et pas du tout front-nationaliste. Elle serait un peu parisienne mais pas parigot, frileuse comme une africaine et chaude comme une nordiste. Elle serait réaliste, irréaliste et idéaliste. Un peu rêveuse, un peu songeuse. Elle serait pas comme ma mère : insouciante. Elle serait pas en cloque, pas cloche, et pas de la région PACA. Elle aurait de la suite dans les idées, un rien allumeuse, excitante, un peu méchante et pas du tout chiante. Enfin elle serait attendrissante, ravissante, gracieuse, délicieuse, radieuse, douce et fraîche. Ce serait mon Utopique Girl à moi, et si vous la voyez, prévenez-moi, j'ai un truc important à lui dire...

10 mai 1997

P.S. : Ce chapitre m'a été inspiré, entre autres, par Catherine, celle avec qui j'ai « partagé » ma vie durant environ un peu plus de quatre années. Elle a un bon nombre de caractères positifs mais aussi un bon nombre de négatifs. Toutefois, il faut croire qu'elle en a plus de négatifs que de positifs puisque nous ne sommes plus ensemble.